
Cet entretien a été donné à 3 voix (Stéphane Cuypers, Nicolas Poloczek, Fabian Bastianelli) au printemps 2021 à l’invitation de l’APSE (Association Espagnole des Professionnels du Shiatsu) qui l’a traduit et publié dans sa revue et diffusé sur ses réseaux.
Nous les remercions chaleureusement pour cette opportunité de partager l’esprit d’Odo Shiatsu !
Nicolas, Fabian, Stéphane
Nous aimerions vous connaître un peu, pouvez-vous vous présenter en quelques mots?
Stephane Cuypers, 57 ans, praticien de shiatsu depuis 10 ans à Bruxelles, après une carrière complète dans le secteur de la Communication d’entreprise. Formation de base : Yoseido Shiatsu School de Maître Kawada, complétée ensuite par la rencontre de nombreux enseignants inspirants. Je m’intéresse depuis longtemps à la pensée orientale et en particulier au Japon. J’ai pratiqué l’aikido et le kyudo, et maintenant le shiatsu est la Voie de ma vie.
Nicolas Poloczek : Né en 1977, ma vie d’adulte commence par une carrière de près de 20 ans dans le monde des médias et de l’information. J’y ai la chance de voyager, de découvrir de nombreuses réalités et de varier les angles de lecture. Parallèlement, je pratique l’Aïkido, avant de rencontrer le Shiatsu et maître Kawada en 2005. Suivront d’autres rencontres et expériences au service d’une soif croissante de cohérence, jusqu’à prendre la décision de mettre ce chemin-là au centre de ma vie. Mon travail est aujourd’hui centré sur les séances individuelles et l’importance de la transmission au travers d’ateliers ou de l’enseignement du Shiatsu. Ma devise : « joie, santé, sagesse : un même chemin ! »
Fabian Bastianelli: De mon côté, je découvre la pensée asiatique à 13 ans, dans la bibliothèque de mon père, avec des livres sur la méditation, des voyages au Tibet. A 19 ans, je participe à ma première retraite de méditation dans un centre tibétain. La pratique de l’aïkido me fait découvrir le shiatsu en 2000 et je commence les cours en 2001 auprès de Maître Kawada (Yoseido shiatsu academy). Je vais le suivre pendant 10 ans, d’abord comme étudiant puis comme assistant et enseignant de première année. Une autre grande rencontre a été Kyoko Kishi en 2016 en Seiki-soho. Dans ma pratique, j’aime chercher la cause du symptôme, sentir ce qui est caché et éveiller le receveur à lui-même.
Comment est né le projet ODO Shiatsu et quelle est votre motivation pour vous encourager dans ces moments de confusion comme celui-ci ? Qu’est-ce qui vous a amené à créer une école entre trois personnes ? Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
D’une rencontre autour d’un repas, d’abord. Un moment de partage, d’échange d’idées, de ressentis, de vision, où nous avons pu constater une affinité de perception au sujet du Shiatsu, de la manière dont il peut être transmis et de ce qu’il a à apporter à notre société humaine.
Ensuite, nous avons constaté notre envie de partager une pratique riche de nos expériences et notre racine commune dans la Yoseido Shiatsu School de Maître Kawada.
Et le troisième constat fut que le shiatsu s’enlise quelque peu, dans des structures scolaires qui prônent un style exclusif, au détriment de la pratique et du soutien effectif aux praticiens. Et que la confusion actuelle, au niveau mondial, vient de ce que les hommes ont perdu leurs racines, le lien à la Terre et au Ciel. Le shiatsu est une voie, il est un magnifique outil de communication par le toucher, d’être à être, il est un art de paix car en dénouant les tensions physiques et nerveuses, les esprits s’apaisent.
Odô est donc né de la rencontre de trois praticiens qui ont fait les mêmes constats et qui ont envie de transmettre quelque chose. La joie de la pratique, au fond, c’est cela que nous partageons entre nous et voulons partager avec d’autres.
Une vision commune, trois personnalités très différentes et complémentaires, symbolisées par notre idéogramme Ciel – Homme- Terre.
Comment pouvez-vous décrire le shiatsu que vous faites et enseignez ? Quelle est la vision que vous en partagez ? Comment cette perspective du Ciel et de la Terre se traduit-elle dans votre shiatsu ?
Avec le temps, le Shiatsu devient effectivement très personnel. On part d’un même terreau technique et culturel : la conception orientale de ce qu’est la vie et les méthodes de soin qui en découlent (interdépendance, importance de la relation à soi, aux dynamiques naturelles…), pour arriver à une forme d’expression individuelle liée aux résonances personnelles.
Même quand on a étudié dans la même école, on ne pratique pas le même shiatsu une fois installé. Il y a autant de styles que de praticiens, M. Masunaga le disait déjà. Et cette diversité est une fort bonne chose.
Les personnes qui nous ont vu travailler à trois remarquent ces différences, mais disent qu’il y a un fond commun, une énergie partagée. En y réfléchissant, il nous semble que c’est l’enseignement de Maître Kawada et les graines de pratique qu’il a plantées en nous…
Nicolas explore plutôt la notion d’autonomie et de responsabilisation en cherchant à mettre chacun en conscience de son processus de soin et des outils nécessaires à son évolution. Son Shiatsu vise essentiellement à établir un état de calme et de détente propice à l’équilibrage naturel du corps-esprit, puis à stimuler la personne dans sa capacité à le reconnaître, le maintenir et à l’approfondir. Il s’agit d’entrer en relation avec soi, en « amitié » avec la vie qui nous traverse pour en saisir les immenses possibilités de guérison et de mûrissement.
Fabian travaille la matière vivante, le corps et tente de comprendre son écosystème. Il aide chaque personne à sentir ses pieds bien stables sur Terre pour laisser monter sa tête dans les étoiles, retrouver son axe, son chemin. Et il s’axe donc sur la recherche en énergétique et cherche comment augmenter la sensitivité pour mieux agir.
Stéphane insiste sur le cadre philosophique oriental qui a vu naître le shiatsu et la vision de l’Homme et de l’Univers que cela implique. Il y a à la fois cette complexité et la simplicité de juste mettre les mains, ressentir et faire confiance au corps. La spécificité du shiatsu est le toucher qui permet de travailler tous les niveaux d’énergie de la personne et au-delà. Le shiatsu est un art japonais, et cela implique beaucoup de choses dans la pratique et pour le praticien lui-même.
Vous vous dirigez aux nouveaux étudiants, ou vous concentrez-vous également sur le recyclage et la mise à jour des cours pour les thérapeutes déjà formés ?
Les deux aspects sont importants. Odo Shiatsu s’adresse à tous les praticiens de Shiatsu. Il y a un plan vertical avec la transmission aux débutants et la formation continue de ceux qui sont déjà praticiens. Et puis un plan horizontal, car quel que soit notre niveau nous gagnons toujours à élargir notre regard et compléter notre technique.
D’une part, le shiatsu change la vie de ceux qui l’apprennent pour une pratique en famille ou souhaitent devenir praticiens professionnels. S’il est évidemment impératif d’avoir une base technique et théorique, ce qu’il faut surtout apprendre, c’est le ressenti, la pratique.
C’est aussi très stimulant d’enseigner auprès de praticiens confirmés, on peut aller dans les profondeurs cachées d’un déséquilibre, en finesse.
Nous envisageons donc ces 2 aspects: enseignement des bases et perfectionnement et du côté de nos cours, nous avons un cursus qui est prêt pour cela.
Nous souhaitons aussi proposer des stages pour les praticiens avancés, créer des échanges dynamiques.
Quel que soit le niveau, nous avons des leitmotiv : la formation de shiatsu ne doit pas être scolaire, mais axée sur la pratique et le ressenti, elle doit être inclusive (càd ouverte à tous les styles de shiatsu existants) , elle doit être décloisonnante (permettre l’échange entre tous les ‘niveaux’ et élargir les horizons de pratique) et, il est important de toujours garder Shoshin, l’esprit du débutant, la capacité à toujours rester ouvert et curieux pour progresser !
C’est un peu le principe d’un dôjô japonais.
Ce projet d’école a-t-il un emplacement physique ? Si oui, lequel d’entre vous trois ouvre le matin,haha?
Au Japon, on peut même vivre dans un dôjô et le Maître y réside. Odo n’en est pas encore au stade d’une école physique. Bien sûr, il y a un idéal, un lieu de grande qualité énergétique qui sera exclusivement dédié et adapté à la pratique. Des images un peu romantiques que chacun porte en soi.
Entre-temps, nous estimons que là où nous sommes est le dôjô, car il est en nous et là où chacun de nous enseignera est le dôjô. On peut matérialiser cela par l’installation de symboles dans divers lieux. La Belgique n’étant pas très grande, nous pouvons nous déplacer… mais un jour, c’est sûr, il y aura un lieu propre à Odô.
Un lieu où les gens se rassemblent, viennent, établissent des contacts reste indispensable, la crise actuelle l’a bien montré. Le shiatsu ne se transmet pas de façon virtuelle.
Êtes-vous affilié à une association ou à une fédération de shiatsu en Belgique ?
Le mot « fédérer » veut dire rassembler les forces autour d’un projet commun. Il est clair qu’Odo a le souhait de participer au tissage des liens et qualités nécessaires au développement du Shiatsu dans notre société. Les choses ont bougé à ce niveau ces derniers mois avec le Covid, qui a révélé le besoin de faire avancer les fédérations, les liens entre les praticiens et la place qu’il occupe dans la société.
Jusqu’ici, on se fédérait pour avoir une reconnaissance officielle ou une protection. Mais un nouveau mouvement s’installe, Les praticiens souhaitent partager leurs expériences, des groupes de pratique se forment en hôpital, en entreprise. Ce qui est important, ce sont les liens entre praticiens dans les régions, les villes, les pays et au-delà. Ce mouvement de fond permettra aux différentes associations de travailler ensemble pour une meilleure reconnaissance, c’est du bottom up.
Nous avons de bons contacts, à titre personnel, avec diverses fédérations ou regroupements de praticiens, comme l’UFPST ou la European Shiatsu Federation.
En quelque sorte, le projet Odô s’avèrera peut-être lui-même fédérateur, si nos propositions de formation et de façon de travailler parlent à beaucoup de monde. De nouveau, nous ne faisons pas la promotion d’un style particulier, le shiatsu est notre ADN commun.
Ôdô a mis dans ses valeurs l’indépendance, càd que nous ne modifierons pas notre vision pour obtenir la reconnaissance à tout prix de tel ou tel organisme officiel… mais nous ne la rejetterons pas non plus si on nous la propose.
Quel rôle les technologies jouent-elles dans votre projet ? Comment gérez-vous la dichotomie entre sur place et l’Internet ?
Il y a eu un grand boom technologique en 2020 lié au Covid, aux outils développés ces dernières années et à la conscience de ce que nous pouvions en faire. Nous avons tous les trois fait diverses expériences en ligne ces derniers mois, donné des cours ou des interviews, continué à interagir avec notre communauté et exploré ces nouvelles possibilités. Il en ressort des choses très positives. Tout ne peut pas se faire en ligne, mais certaines choses sont très pertinentes, et nous avons appris à mieux discerner quels outils conviennent dans telle ou telle situation.
Avec Odo, nous privilégions le présentiel parce qu’il permet de toucher plus facilement des objectifs liés à un art du toucher comme le Shiatsu, mais nous pensons aussi proposer certaines choses en ligne pour enrichir l’expérience pédagogique et notre capacité de transmission. L’important lors d’un cours, c’est de pratiquer et de se rencontrer. Si on peut consacrer plus de temps à pratiquer grâce à une vidéo ou autre qui prend en charge le temps que l’on aurait passé à expliquer des choses devant un tableau blanc, tout le monde y gagne !
Les atouts des technologies sont d’une part la facilité de communiquer à travers le monde de façon instantanée et l’outil pédagogique potentiel.
Dans tous les cas, nous n’oublions pas que le shiatsu est avant tout un art du toucher qui demande une vraie attention sur plac
Mais voilà ¡ Sans Internet, nous n’aurions pas pu faire cette interview ¡
Nous vous demandons de poser votre propre question dans le sens de cette interview, et d’y répondre.
Stephane : qu’est-ce qui caractérise un praticien de shiatsu ¿
Il ne s’agit pas pour moi de ce qu’on a appris ou de ce qu’on connaît. C’est évident qu’il y a beaucoup de choses que je ne sais pas et que d’autres savent et que je sais des choses que d’autres ne savent pas. Avec une tradition aussi riche que celle du shiatsu et ses arrière-plans dans l’histoire, il est impossible de tout apprendre en une vie.
Le principal travail est donc le travail sur soi, physique (endurance, souplesse, puissance), énergétique (avoir une bonne énergie vitale, sentir le corps énergétique et rayonner le Shen le plus souvent possible), psychologique (bonne capacité d’écoute et de raisonnement), émotionnel (stabilité et bienveillance, joie de vivre), spirituel (ressentir le Ki jusqu’à la source, cultiver la présence)…
Et surtout, la pratique, la pratique, la pratique. Et après bien sûr, il y a des qualités intéressantes à développer, comme la curiosité, l’ouverture, le goût d’expérimenter, d’apprendre et l’intérêt pour l’Orient qui a vu naître notre art.
Nicolas : Comment faire pour être en bonne santé ?
Tout d’abord, il nous faut définir ce qu’est la santé. Maître Kawada nous parlait de cinq critères de santé : avoir un bon sommeil, un bon appétit, une bonne évacuation, un esprit léger et un travail qui a du sens. A travers ces cinq critères, tout est dit ! On inclut le corps et l’esprit, l’individuel et le collectif, la Terre et le Ciel !
Une deuxième question vient à la suite : « comment faire pour être en bonne santé ? ». Il y a six critères ici, dont les principaux sont l’adaptation aux lois naturelles, la diététique, la pratique physique et l’attention aux activités de l’esprit. On comprend ici plus encore à quel point la pensée orientale en nous renvoyant à notre pouvoir d’action sur la qualité de notre existence nous offre un magnifique chemin !
En Occident il y a fort à faire pour remettre cette église là au centre du village, faire prendre conscience que la santé ce n’est pas seulement ne pas être malade, mais agir sur le vivant pour lui donner du sens. On rejoint ici une idée qui m’est chère : la joie, la santé et la sagesse forment un même chemin dont la boussole est très intérieure !
Fabian: Comment trouver la racine du déséquilibre?
C’est un challenge que Kawada Sensei me proposa un soir: “diminuer le symptôme, c’est facile. Alors, comment trouver l’origine du déséquilibre et permettre au receveur de se prendre en main?”
Ceci rejoint assez les questions de Stéphane et Nicolas (c’est sans doute cela notre complémentarité). En tant que praticien, je me suis rendu compte que je pouvais être assez bon techniquement mais qu’il manquait quelque chose. Ce quelque chose ne peut se trouver dans une technique, dans des savoirs, cela se trouve dans la pratique, la recherche personnelle de ce qui vit au fond de soi, c’est polir son miroir. Dans mon parcours, la méditation est fort présente, elle ne me permet pas seulement de me détendre, calmer, concentrer, elle me permet de m’ouvrir à ce qui est et ainsi inviter, accompagner le receveur à faire un bout de chemin sur l’origine de son soucis.
Comment voyez-vous l’avenir ? Comment pouvez-vous soutenir un projet comme le vôtre, avec des restrictions et des interdictions ?
Quelle que soit la situation, quand quelque chose est juste, elle a lieu et il ne faut presque rien faire. Nous avons constaté plusieurs fois déjà que nous nous trouvons au lieu de l’évidence. Nous n’avons pas tellement de prise sur les conditions ambiantes, mais le chemin est clair. C’est pourquoi nous nous réjouissons de tout ce qui viendra encore, même si, comme tout le monde, nous rongeons un peu notre frein, parce qu’on ne peut, légalement, pas faire grand chose en ce moment. On revient à cette notion très orientale : nous sommes faits pour nous adapter à un monde qui change en permanence !
Ce qui se passe actuellement est une formidable invitation à plonger en soi, découvrir ses peurs, ses tensions. Ce qui est incroyable, c’est que tout le monde le vit. Les restrictions sont comme un ressort qui est comprimé. Alors tout ce que l’on vit pour le moment est une superbe opportunité à pratiquer et à donner envie de recevoir du shiatsu, faire goûter cette vie dans nos cellules pour retrouver son lieu de paix qui vit tout au fond.
Les périodes Yin sont puissantes et annoncent un déchaînement du Yang. Fidèles à nos principes, nous travaillons sur nous en cette période, afin d’être prêts pour les suivantes.
